L’écomusée de Marquèze, Parc Naturel Régional des Landes de Gascogne

Ecrire cet article est né du désir de décrire une expérience sensible de visite dans un écomusée en 2019. En effet, issue d’une formation en histoire de l’art puis en histoire du patrimoine et des musées, je n’ai été sensibilisée – il me semble – que bien trop tard à propos du rôle et et l’importance des écomusées et des musées de société aujourd’hui qui mérite, selon moi, que l’on s’y attarde encore plus à l’heure actuelle. Car ils peuvent être un moyen de vivre pleinement le patrimoine, la nature mais également de faire naître des vocations.

Dans son article, Rosemarie Lucas énonce le fait que « nés d’un même mouvement idéologique à la fin des années soixante, les écomusées et les parcs naturels régionaux centrent leurs actions sur l’homme et son environnement dans un territoire donné ; l’originalité de ces deux concepts est d’opérer sur un territoire rural, espace de vie et non d’un musée. Dès 1961, le Conseil international des musées  (ICOM) assimile les parcs à un système muséal dans la mesure où ceux-ci sont soumis à la visite réglementée du public. » (1)

Elle souligne également le fait que « la majorité des ouvrages traitant du monde muséal sont le fait des protagonistes eux-mêmes : les conservateurs ; ce qui explique leur caractère trop souvent technique. aussi, face à la multitude d’écrits théoriques concernant la « nouvelle muséologie » apparue dès les années quatre-vingt, le peu d’études monographiques sur les institutions patrimoniales n’aborde que rarement les enjeux sociaux et idéologiques qui président à leur création et à leur développement. » La difficulté est donc double : la nécessité d’écrire l’histoire de ces structures – souvent fragiles et fragilisées – est nécessaire (Octave Debary s’y été employé dans sa thèse à propos de l’écomusée de la communauté le Creusot Montceau), en plus de continuer à les faire connaître aux publics en perpétuant des savoir-faire et une histoire propre à un territoire.

L’écomuséologie demeure ce qu’Hugues de Varine définit à la fin de son ouvrage :  « une manière de gérer le patrimoine vivant selon un processus participatif, dans l’intérêt culturel, social et économique des territoires et des communautés, c’est-à-dire des populations qui vivent sur ces territoires » (2). Important en France puisqu’il s’agit du premier créé sous l’impulsion de Georges Henri Rivière, à la fin des années 60, l’Ecomusée de Marquèze est situé dans le Parc Naturel Régional des Landes de Gascogne. Ce dernier est géré par le syndicat mixte du Parc, de fait, de plusieurs entités publiques.

L’écomusée de Marquèze, unique en France, puisqu’il est un témoin de la « nouvelle muséologie » (3) nécessite une journée entière afin de réaliser le parcours. Nous parlerons ici d’un retour d’expérience de visite. Le parcours débute à partir de la gare de Sabres.

Le pavillon de Marquèze

Les collections permanentes

Le Pavillon de Marquèze – accessible après un passage obligé par la boutique – abrite les collections de l’écomusée qui permettent de comprendre l’histoire de l’aménagement du territoire des Landes de Gascogne, du 19ème siècle à nos jours, selon une scénographie étudiée et interactive.

Ainsi, autrefois composé majoritairement de landes rases parcourues par des bergers-agriculteurs, le paysage s’est transformé au cours du 19ème siècle pour devenir aujourd’hui la plus grande forêt industrielle d’Europe. On est passé d’un système agro-sylvo-pastoral (dont l’airial sur laquelle nous arrivons après avoir parcouru 3 kilomètres en train à travers la forêt landaise) à un territoire tourné entièrement vers la sylviculture.

Au Pavillon, la technique sylvicole est expliquée de manière pédagogique, tout en restant scientifique.

1.Les infrastructures 

La faible pente du massif et la couche d’alios à faible profondeur empêchent l’écoulement des eaux superficielles. Dès le début du XIXème siècle, un réseau complexe de fossés a donc été creusé pour évacuer ces eaux stagnantes, en préalable de la mise en culture. Après les grands incendies des années 40, et dont l’écomusée conserve les archives (photographies, brochures, journaux), de larges pistes forestières permettent la protection l’entretien et l’exploitation des forêts.

2. Semis ou plantation ? L’amélioration génétique 

La recherche s’est associée à la sylviculture dès le milieu du XXème siècle, pour augmenter la productivité de la forêt. Outre les améliorations génétiques, les sylviculteurs peuvent désormais choisir entre semis et plants, ces derniers étant majoritaires aujourd’hui dans les choix opérés par les sylviculteurs.

  • Semis

Dès les années 60, l’INRA et les sylviculteurs procèdent à une sélection génétique pour améliorer les graines de « pays ».

  • Plants

Dès le début des années 1980, une production de plants en mottes va améliorer les techniques de plantation et provoquer un développement croissant de la plantation au lieu de semis.

3. Préparation du sol et installation du boisement 

Avant la plantation ou le semis, le sol est labouré en bandes, amendé et affiné. Un semis consomme environ 50 000 graines à l’hectare ; son coût élevé favorise de plus en plus la plantation qui demande environ 1300 jeunes plants à l’hectare, soit 1500 graines. Ces plants sont produits en pépinière.

4. Les débroussaillages et dépressages

Après le boisement, des intervention successives effectuées au bon moment sont indispensables pour assurer une bonne croissance de la forêt. Vers 3 ans, la réduction des semis par dépressages limitera la compétition entre les jeunes sujets pour laisser environ 1400 pins par hectare. Un entretien mécanique éliminera la flore concurrente et augmentera la productivité de la parcelle. L’élagage des jeunes arbres entre 3 et 6 mètres améliorera la valeur marchande du bois produits en limitant la densité des noeuds.

5. Les coupes d’éclaircies

5 phases d’éclaircies ont progressivement diminué le nombre d’arbres tout au long de leur croissance. Une sélection rigoureuse par coupes d’éclaircies débarrassera la parcelle des arbres mal conformés, ou affaiblis, et limitera la densité du boisement.

6. La coupe rase 

A la coupe rase vers 50 ans, la parcelle ne comportera plus que 250 pins par hectare. L’abattage du bois de taille moyenne est de plus en plus effectué mécaniquement par des têtes d’abattage. Le pin maritime est ensuite tronçonné en billons. Après la coupe rase, la parcelle est reboisée, et un cycle nouveau s’engage.

7. Le débardage

Le débardage est effectué avec des tracteurs forestiers. Le bois coupé est déposé en bordure de route et classé par catégories selon la longueur des billons et leur diamètre. Les billons sont ensuite acheminés en camion vers les papeteries ou les scieries.

8. Transformation du bois

Lors de leur exploitation, les bois sont triés en fonction de leur dimension et de critère qualitatifs :

  • Le bois d’oeuvre

Il provient de la partie inférieure du fût de l’arbre découpé en billons. Il est utilisé pour les charpentes, emballages, lambris, parquets.

  • Le bois d’industrie

Il s’agit des bois inutilisables comme bois d’oeuvres en raison de leur petit diamètre (bois d’éclaircie ou cime) ou de certains défauts (absence de rectitude, noeuds, fentes ou altérations par champignons ou insectes xylophages). Ces bois constituent la matière première des industries lourdes de trituration de et la base des panneaux de particules ou de la pâte à papier. Les collections dévoilent également les objets liés aux différents usages de la forêt.

« L’art de faire pleurer les arbres » : la technique du gemmage expliqué par un médiateur 

Le gemmage est une activité saisonnière : la résine, produit par la photosynthèse, ne coule que lorsque le soleil réchauffe les aiguilles du pin et circule dans de petits canaux. Un pin ne sera pas gemmé avant 25 ou 30 ans : le tronc devra avoir 1 mètre de circonférence à 1,30m du sol. La première care sera ouverte sur la partie est du tronc et ravivée tout au long de la saison (mars-octobre). Elle est conduite de bas en haut durant quatre années, avant de passer à une autre face de l’arbre. Quelques années avant d’être abattu, vers 70 ou 80 ans, le pin sera « gemmé à mort » c’est à dire surchargé de cares ouvertes côte à côte. La démonstration de ce savoir-faire a lieu à la cabane du gemmeur, où les médiatrices présentent les différents outils utilisés, en fonction des différentes étapes du processus (Pelage et barrasquage, cramponnage, outils pour la « pique », outils de transport). Les barriques de résine stockées sur un quai rustique sont ensuite transportées en bros (charrette) jusqu’à l’atelier de distillation, souvent implanté dans le bourg. Dans la forêt, des cabanes sommaires offrent de loin en loin un abri aux gemmeurs et abritent le matériel (pots, crampons…)

Le gemmage des pins

Des exposition temporaires

Lors de notre visite, l’exposition « Sortez les clichés » présentait, à travers plus de 100 photographies, les traditions, chants, danses, rituels, savoir-faire, recettes de la France. Ces pratiques, héritées du passé, mais encore bien vivantes, constituent ce que l’UNESCO appelle le Patrimoine culturel immatériel. Cette exposition est un moyen de faire le lien entre le territoire des Landes et le lieu de vie des visiteurs. En effet, habitant  à Paris et plus précisément dans le 18ème arrondissement, j’ai appris à cette occasion qu’une fête du Dieu Ganesh avait lieu tous les ans près de chez moi depuis 1996. Rendez vous culturel, et religieux, les fidèles rendent hommage à Ganesh, un des dieux les plus importants et les plus populaires du panthéon hindou. Traditionnellement représenté par un corps d’humain avec une tête d’éléphant, Ganesh occupe un statut particulier dans la religion hindouiste puisqu’il est celui à qui l’on adresse ses prières avant chaque nouvelle action. Riche d’une communauté hindoue fortement représentée en Ile-de-France, le temple de Stri Vinayakar Alayam (temple de Ganesh) organise le festival qui s’articule autour de cérémonies religieuses qui se succèdent dans l’enceinte du temple et ce durant deux semaines.

Les écomusées sont propices à faire des ponts entre différents espaces et lieux de vie. L’exposition, suivant une scénographie aérée et habile, donnait également des informations sur les échassiers landais. En effet, à partir du XVIIème siècle et jusqu’à la fin du XIXème siècle, les bergers landais se servaient d’échasses pour surveiller leur troupeau. Elles leur permettaient de marcher rapidement sur les terrains humides et protégeaient les pieds du froid et des piqûres d’ajoncs. Les grands espaces dont se servaient les pasteurs pour les troupeaux se sont vus réduits par la loi du 19 juin 1857 qui impose aux communes des Landes de Gascogne de boiser leur territoire. C’est à ce moment là que la sylviculture à pris le bas sur la lande pastorale mais aussi sur les terres cultivées. Après la guerre de 1914-1918, presque tous les échassiers landais avaient disparus. C’est suite à l’initiative de Sylvain Dornon, boulanger arcachonnais, qui tenait à cette tradition, que l’usage des échasses dans les Landes de Gascogne a été préservé et qu’il est devenu un sport et un jeu à travers une discipline : la danse sur échasses.

L’Airial, un accès après 3 kilomètres en train

L’airial est un terrain couvert de pelouse et planté de quelques chênes ou de pins parasols, jadis au devant de la plupart des habitations des Landes de Gascogne situées hors des bourgs. Le paysage de l’airial tranche avec celui de la fôret : les pins cèdent la place à un vaste espace de pelouse ouvert sur lequel se dressent quelques chênes, souvent centenaires, une clairière au cœur du massif forestier, regroupant quelques maisons et leurs dépendances (grange, bergerie, poulailler…). Les airiaux d’un même village constituent ce que l’on appelle le « quartier », petit hameau ou lieu-dit isolé.  Airial (masculin) est un terme francisé issu du gascon airiau ou ayrial ou encore éyriau. Il est exclusif des Landes. Son étymologie latine est area, « aire »; occitan : airal, « aire », « espace vacant », « terrain autour d’une maison ».

L’interprétation des sites culturels et la culture technique au centre de la visite 

De même que la Charte de Venise pose le principe de la protection des vestiges d’un site culturel comme essentiel pour sa conservation, il est aujourd’hui également admis que l’interprétation de la signification des sites fait partie intégrante de la démarche de conservation et est fondamentale pour son bon aboutissement. La charte ICOMOS Ename pour l’interprétation des sites culturels repose sur sept principes : accès et compréhension, sources d’information, le contexte et l’environnement, authenticité, caractère durable, participation, recherche, évaluation et formation. Spiritualité qui revêt toute son importance sur un site tel que l’écomusée de Marquèze.

La fabrication de sabots

Les sabots et leur fabrication sont présents dans la grange de la rivière, situé sur l’Airial. Des machines, telles que la façonneuse, qui est un tour automatique, reproduit des paires suivant des modèles de formes. La creuseuse sert à évider l’intérieur des sabots d’après des gabarits. Puis les sabots sont entreposés pendant plusieurs jours dans un séchoir à basse température, la finition se faisant ultérieurement dans du bois sec. Pour la finition, les outils anciens, tels la cuillère et les rouanes, peuvent être utilisés.

La portée spirituelle du lieu

Le plus marquant, durant la visite, est certainement l’aura du lieu. La sorcellerie, sorcierumi,  n’est pas une spécialité gasconne, mais sa chasse y est renforcée par le savoir-faire des inquisiteurs qui viennent d’en finir avec les cathares. Les visitadors, personnes qui savent identifier les sorciers, secondent les magistrats. Dans leur mémoire, Domenge Bidòt German et Josiana Dexperets expliquent la sorcellerie en Béarn. D’un puis – placé à coté d’un poulailler perché – surgissent des contes de sorcières. La borde, petite bergerie abritant les troupeaux, accueille une évocation des personnages fantastiques et des légendes gasconnes. A côté de l’Escamat, petit cours d’eau traversant le lieu, une maison aux sorcières nous renvoie à des temps où croyances et vie quotidienne allaient de pair.

La rencontre avec Michelle du Four à pain

« J’ai perdu mon travail vers Bordeaux suite à des aménagements réalisés par ma commune… J’organisais des ballades à poneys, mais ils ont fermé la voie d’accès qui permettait à mes clients d’accéder au lieu. Jai cherché du travail, et l’écomusée m’a recruté afin de vendre des petits pains. » Pendant que nous parlons, des personnes s’avancent vers la petite maisonette afin d’acheter le fameux « pain d’antan » de l’écomusée. Michelle poursuit : « Nous avons des directives ici… Mais il n’est que 16 heures, et nous n’avons plus assez de pains à vendre. C’est pas bien! ».

Je lui explique alors que la vocation de l’écomusée n’est pas celle de « vendre beaucoup de petits pains » mais bien de participer à la valorisation des savoir-faire propre aux Landes de Gascogne et de l’histoire du territoire par des actions pédagogiques, en lui conseillant de se rendre sur le site de la FEMS (Fédération des écomusées et des Musées de Société). Celle ci me remercie en me demandant ce que je fais ici, et si vivre à Paris « n’est pas trop dur ». L’écomusée, et la configuration de la visite s’effectuant comme une promenade profondément libre, facilite pleinement le dialogue et les rencontres.

Dans sa critique de l’ouvrage de Hugues de Varine, Serge Chaumier énonce le fait que « si l’auteur rejette, avec raison, les économusées en se méfiant de la dérive commerciale potentielle, ou qu’il se méfie du tourisme par l’éloignement que celui-ci génère pour les populations d’un territoire, il ne pose pas suffisamment la question du rapport aux financeurs et aux autorités de tutelle qui font que les écomusées ont souvent été pieds et poings liés, ne pouvant assumer leur rôle de contre-pouvoir et de lieux pleinement démocratiques. » (2)

La technique du filage de la laine et la visite du Moulin 

La visite du moulin est un moyen de jouer sur le lien émotionnel entretenu entre les visiteurs et ces techniques. Le moulin est une petite construction sur pilotis et est composé de deux meules (seigle et maïs) entraînées par un axe mu par une roue horizontale en raison de l’absence de pente. Par peur de la montée des eaux,  les moulins sont construits sur les ruisseaux affluents des cours d’eau principaux. Le bâtiment provient de la commune de Geloux à quelques kilomètres de Sabres. Discuter avec la médiatrice fut un moyen d’obtenir des informations concernant la gestion et la conservation du bâti à Marquèze. En effet, le bâti, comme c’est également le cas pour l’écomusée d’Alsace, provient généralement de villages voisins et est déplacé directement sur le lieu de visite.

 


(1) Rosemarie Lucas« L’invention de l’écomusée », ISBN 978-2-7535-1817-9, Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr

(2) Hugues de Varine, L’Écomusée singulier et pluriel (Paris : L’Harmattan, 2017, 296 p

(3) Serge Chaumier, « Pratiques de l’écomuséologie », La Lettre de l’OCIM, 174 | 2017, 40-41.

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