Anselm Kiefer : artiste du vide

Anselm Kiefer est l’artiste de référence lorsqu’il est question d’évoquer le mélange entre scriptural et création plastique, entre spirituel et rationnel. Ses livres, peu connus contrairement à ses tableaux et qui furent à l’honneur jusqu’il y’a peu à la Bibliothèque Nationale de France à Paris, sont composés de divers matériaux tels que l’argile, le sable, la cendre, les cheveux, les plantes, la paille, des photographies et essentiellement le plomb, médium privilégié de l’artiste.

Les travaux de Tauba Auerbach, ou encore ceux d’Eva Rothschild, posent également les limites entre art et langage, objets et signes. Anselm Kiefer s’inscrit quant à lui dans une tradition qui serait davantage tournée vers l’histoire, un témoignage, témoignage des atrocités nazies, des guerres (comme démontre son oeuvre Chemins de la sagesse du monde), empruntant une voie détournée, une issue poétique et narrative qui serait celle du mythe pour se saisir, enfin, de la réalité dans toute sa substance et sa matérialité.

« Je n’ai foi que dans l’art et, sans lui, je suis perdu. Seuls les poèmes ont une réalité ».  Telles sont les premières paroles d’Anselm Kiefer lors de sa leçon inaugurale prononcée au collège de France en 2010. Et c’est à la lecture de celle-ci que l’on parvient a saisir la complexité de l’univers – mental et créatif – de l’artiste. Anselm Kiefer est un passionné, un chercheur invétéré qui crée avant de même de penser, contrairement à certains artistes qui ont tendance à appliquer des discours philosophiques, telles des recettes, à leurs travaux.

A ce sujet, Bernard Marcadé et Jérôme Alexandre insistent dans leur ouvrage La création comme urgence sur le fait que « l’insurrectionnel, l’éruptif, le disruptif, sont des intensités qui sont au cœur de l’art ». Il avoue pourtant être un sceptique, sceptique vis à vis de la réalité des oeuvres d’art, mais préfère se perdre dans cette illusion plutôt que de se laisser croire à autre chose. De la même manière, il n’ose parler de progrès en art, car en effet, comment juger que tel art est davantage « évolué » qu’un autre? Il ne s’agit pas de parler de progrès mais bien d’évolution, évolution des concepts, des formes, du contexte… Il avoue ensuite craindre « que la beauté qui se réalise dans l’art ne devienne cendre une fois remontée au niveau du discours. » Obsession de la cendre, que l’on retrouve, encore une fois, au coeur de ses tableaux, « striés, griffés, barrés de fils barbelés, pourfendus dans leur épaisseur, dans leur chair » comme l’écrit D. Bétard.

Son atelier a Barjac, qui est en fait la liaison entre cinquante deux bâtiments qu’il a édifiés par des tunnels souterrains et aériens, oeuvre d’art totale opérant une rupture dans la production de l’artiste, entre en résonance avec son oeuvre La Brisure des Vases (Shevirat Ha Kelim). L’artiste fait référence à la kabbale, désignant un accès direct à dieu, sans médiation, mais uniquement par la voie de la connaissance, outil permettant à l’homme d’accéder a différentes perceptions du monde. Elle met à disposition de ses membre un diagramme synthétique : l’Arbre de vie ou des Sephiroth, et autres clés de lecture pour de multiples ouvrages, ainsi que différents concepts. Arbre de vie, chemin de la connaissance, dédale souterrain… La réflexion d’Anselm Kiefer ne va pas sans nous rappeler une oeuvre célèbre d’U. Eco. Le Pendule de Foucault évoquant la constitution d’un Plan pour la domination mondiale par les trois personnages principaux de l’histoire qui se déroule à Milan:

“ Nous, nous avons inventé un Plan inexistant et Eux, non seulement ils l’ont pris pour argent comptant, mais ils se sont convaincus d’en faire partie depuis longtemps, autrement dit, ils ont identifié les fragments de leur projets désordonnés et confus comme des moments de notre Plan scandé selon une irréfutable logique de l’analogie, de l’apparence, du soupçon. » (p 625)

Ainsi, le Dieu d’Anselm Kiefer serait-il l’art, qu’il tente de saisir à travers la recherche? Est ce cela qu’il tente de nous faire sentir lorsqu’il superpose les différentes strates de l’histoire dans son oeuvre Homme sous une pyramide? Une des productions les plus étonnantes de l’artiste serait peut être La vie secrète des plantes, une série de tableaux de gesso et de végétaux séchés inspirés pas l’anglais Robert Fludd, physicien du XVIIème siècle, qui soutenait que chaque plante à son équivalent sous forme d’étoile. La encore, Anselm Kiefer « rêve tout haut sa recherche » (Roland Barthes est une de ses inspirations littéraires majeures), mêlant terre et ciel en une réflexion sur le cosmos, l’occulte, comme Jean Luc Parant pu le faire dans ses écrits sur les Yeux. Anselm Kiefer oblige définitivement le visiteur à se plonger dans un monde dévasté, brûlé, aux odeurs de mort et à l’allure de mythe, entre silence apaisé et obscure clarté.

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