Une ode à la nuit

Journal d’une apparition : Robert Desnos / Gabriel Dufay

Théâtre National de Chaillot – Octobre 2015

« Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d’astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l’amour ! »

Arthur Rimbaud, Le Bateau Ivre

Journal d’une apparition. Au milieu de la scène : un lit, dans lequel dort Dufay, incarnant Robert Desnos rêvant du fantôme. Ce dernier, entrant furtivement, se retrouve accroupi au dessus du poète endormi, brandissant un poignard. Lentement, il s’évanouit dans l’ombre, en passant par la fenêtre. Une bougie en forme de voilier (référence implicite au Bateau Ivre de Rimbaud?) n’est éclairé qu’après quelques minutes plongées dans l’obscurité. Les murs sont blancs, recouverts d’une fine toile.

A gauche : une porte d’entrée. en face de cette porte, une chaise sur laquelle est posé une chemise blanche et un pantalon. Au fond à gauche : un porte manteau. A droite : une fenêtre, en dessous de laquelle se trouve un bureau, et un livre ouvert. Sur la chaise du bureau : une paire de chaussettes. Au pied, une paire de chaussure cirées. Le poète se réveille enfin. Il allume sa bougie.

« J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.
J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé,
Couché avec ton fantôme
Qu’il ne me reste plus peut-être,
Et pourtant, qu’a être fantôme
Parmi les fantômes et plus ombre
Cent fois que l’ombre qui se promène
Et se promènera allègrement
Sur le cadran solaire de ta vie. »

« A la faveur de la nuit », le poète déclame en quête de son amour. « Non l’amour n’est pas mort ». « Si tu savais ». « Les espaces du sommeil. » Récités avec une force extraordinaire, les poèmes entrent dans le langage courant. « Ô douleur de l’amour ». Le spectacle, conçu comme un théâtre d’ombres et de lumière, alterne entre la voie du poète et une voix féminine. Celle d’Yvonne. Celle de Youki.

L’homme et la femme dialoguent, et parfois ne peuvent s’entendre. A la manière des sculptures de Colette Hyvrard, la figure féminine, imposante, statue dissimulée sous un voile blanc, surgit dans le dos de Desnos, et l’interpelle. La scénographie change, se métamorphose, à mesure que l’on avance dans le récit de sa vie.

Mais ce n’est pas de lui, Desnos, dont il s’agit, mais de son amour, qui le hante, le fascine, l’inspire et le tue. Balloté entre angoisse et espoir, tantôt le poète le délaisse, tantôt il le rattrape en croyant l’avoir saisi. La vie de Desnos pourrait être symbolisée par cette course infernale, à contre courant, contre lui-même et contre elles, et qui aboutirait à cette phrase fatale : « Ne rêvez pas ». Ne rêvez pas.

 

Image à la une : Copyright © 2015 Soline Portmann

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